Chères toutes,

Je voulais vous remercier, individuellement et collectivement, de m’avoir si bien soutenu et aidé pendant cette douloureuse épreuve que fut pour moi le fait de quitter S ; car quitter S, vraiment, je ne le souhaite à personne. On est loin ici de la gaieté du cœur.

Alors, oui, merci à vous toutes.

Merci cent sept fois.

Sans vous, je ne sais pas ce que je serais devenu.

Peut-être serais-je revenu vers S ? Qui peut le dire ? Fragiles sont nos décisions – et les miennes particulièrement.

Alors merci. Merci de m’obliger à persévérer dans mon être conatus.

Surtout, merci pour S ! Car c’est incontestable : grâce à vous toutes, S a échappé à un plus grand danger que celui d’être quittée : celui de ne pas l’être !

Imaginez les conséquences pour elle si, retrouvant la raison, reconnaissant ma faute, j’étais revenu vers elle comme un chien se couche aux pieds de sa maîtresse.

Imaginez les conséquences pour l’art.

Imaginez les conséquences pour la FRANCE !

Imaginez le malheur de S de se retrouver de nouveau encombrée d’un type dont vous avez si bien su vanter les mérites. Elle ne s’en serait jamais remise. Ni moi non plus de la priver du meilleur que je pouvais lui offrir et, partant (c’est le cas de le dire), du meilleur d’elle-même.

Comment vous dire (sinon avec des mots) que ce fut une chance inespérée de pouvoir compter sur vous pour m’affermir dans ma résolution, m’interdire tout repentir et même m’ôter cette culpabilité qui ne manque jamais d’empoisonner la vie et les amours futures de ceux qui ont l’inconcevable outrecuidance de quitter les êtres qu’ils n’aiment plus, sans pour autant les détester ni même rien leur reprocher.

Je sais bien qu’il s’agit là d’une situation qui ne concerne que les dégénérés dans mon genre.

Vous me confirmez qu’il n’y a pas de plus beau sacrifice que celui de rester avec quelqu’un qu’on n’aime plus et, à vous entendre, je ne doute pas que toutes soyez des exemples de cette probité pour l’autre que je devrais suivre à l’avenir et à la pelle, plutôt que de continuer à écouter ce que me soufflent mes instincts les plus bas et ces déplorables appels à la liberté d’aimer, aux joies de se sentir absurdement vivant plutôt que dignement mort.

Hélas, ma maman me l’avait dit et répété lorsque j’étais enfant : il est interdit de quitter une femme. Ah ça, c’est interdit ! Déjà que l’on doit subir la présence des hommes, si en plus on doit subir leur départ ! C’est trop pour de faibles femmes. Voilà ce que me disait et me répétait ma maman. J’aurais dû l’écouter et merci à vous de me restituer feu sa voix.

Merci de m’avoir indiqué, de cent sept façons différentes, le droit chemin que j’aurais sûrement pris depuis longtemps sans cette femme malheureuse et amère que fut ma maman après que son époux (mon père) l’eut quittée pour une fille d’Ève, qui s’appelait justement Ève. Sans déconner ! Ce qui en dit long sur mon paternel et sur les mythes qu’il nourrissait, qu’il m’a peut-être transmis, sans que je le sache. Surtout que, pour cette Ève de Monoprix, il se ruina. Ce n’est pas qu’un mot : voulant vivre cet amour des origines sur un grand pied, il signa allègrement un nombre incalculable de chèques sans provision, jusqu’à être bientôt interdit bancaire et même poursuivi devant les tribunaux et menacé de prison. Ce fut le moment que choisit miss Ève pour le plaquer, on se demande bien pourquoi. Ô arbre maudit de la connaissance !

Mais voici le meilleur : le cœur brisé, la maréchaussée à ses trousses, ne sachant plus où aller ni que faire, mon père revint piteusement auprès de sa femme (et, accessoirement, de ses enfants). Laquelle, bonne princesse, prit un avocat et organisa la défense de son salopard d’époux, jusqu’à le tirer juridiquement de ce mauvais pas. Juridiquement mais pas conjugalement. Car ne pouvant pardonner à son mari de l’avoir trahie pour une pétasse biblique, ma mère devint toute rancune et amertume et, trente années durant, elle précipita son couple dans un enfer sentimental et sexuel qui non seulement les suicida tous les deux, mais constitua, d’aussi loin que je puisse me le rappeler, l’ordinaire de ma vie de petit garçon. Au risque de me donner certaines idées. Je veux dire : m’inciter inconsciemment à reproduire ce modèle paternel puisque, pour moi, devenir un homme signifiait quitter sa femme du jour au lendemain pour des raisons proprement évanescentes, puis revenir auprès d’elle la queue entre les jambes afin d’y subir un châtiment aussi éternel que mérité. Cela me pendait au nez. Mon histoire de M en témoigne. Après cette débâcle, la culpabilité risquait de me ramener vers S. On n’échappe pas à ses modalités. Ce dont vous toutes m’avez heureusement libéré – et S ô combien !

Merci !

Je n’ai d’ailleurs qu’un seul regret : que ma mère ne soit pas là ce soir. Car je crois qu’elle aurait été fière de vous et, à cet instant précis, de moi aussi, peut-être, enfin.

Alors oui ! C’est avec une immense et sincère gratitude qu’à vous toutes je dis cent sept fois de prendre soin de vous.

Très affectueusement.

Votre très reconnaissant G

PS : S m’avait dit que je pouvais inviter à ce dîner qui je voulais et j’avoue avoir été tenté de venir avec deux jeunes et splendides créatures pendues à mon bras. Mais je viens de rencontrer une délicieuse jeune femme qui m’a contacté après avoir vu vos œuvres vénitiennes. À cause d’elles-mêmes ! Nous ne nous quittons plus depuis. Elle est un merveilleux soleil qui éblouit mon existence. Peut-être serez-vous heureuses d’apprendre que nous allons bientôt convoler. Tel est le prodigieux résultat de vos efforts. Sans vous, je n’aurais jamais trouvé le bonheur sur Terre. Alors oui, merci, merci à chacune d’entre vous. Merci à vous toutes. Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci Merci.