Niveau 1

Je ne sais pas ce que cela fait d’être riche. Je n’en ai aucune idée. Je ne peux pas du tout m’imaginer passer les vacances d’hiver dans un chalet en Suisse et, l’été, dans une propriété sur les hauteurs de Nice ou dans un domaine situé dans les Cornouailles. Je ne sais pas ce que cela fait de n’avoir jamais des fins de mois difficiles et de n’en avoir pas la moindre idée, même en imagination. Je ne sais pas ce que cela fait de savoir qu’on va hériter un jour de propriétés, de chalets, de titres, de millions, oui, tout cela sera un jour à soi et qu’est-ce que cela fait de savoir que l’on a autant à gagner de la mort de ses proches et, par extension, que l’on a peut-être plus à gagner de la mort d’autrui que de son existence.

Je ne sais pas si, contrairement à ce que j’ai souvent entendu dire, les riches ne haïssent pas les pauvres bien davantage que ceux-ci les haïssent parce qu’ils ont beaucoup plus de raisons de les haïr et, petit a) le dégoût physique, immédiat, viscéral de la pauvreté – sa crasse, son odeur (d’où le besoin d’éviter tout contact et de se protéger des pauvres en accumulant toujours plus de richesses) ; petit b) le mépris pour les perdants (car personne n’aime l’insecte qu’il écrase) ; petit c) le fait que les pauvres rappellent aux riches ce qu’ils durent faire pour devenir riches, au prix de quelle violence originelle. Car aucune fortune ne s’édifie sur l’amour de son prochain et les pauvres en sont la preuve. Ils sont, pour les riches, un mauvais souvenir. Un caillou dans leur chaussure. Une tache qui leur rappelle qu’ils ne sont pas d’essence supérieure comme ils voudraient s’en persuader et le faire croire, non, ils ne doivent pas leur réussite à leurs qualités innées ou à leur personnalité exceptionnelle mais à un système qui leur profite et à une violence sans laquelle aucune accumulation n’est possible et, en ce sens, les pauvres brisent le miroir dans lequel les riches se voient si beaux et ils sont ce que des origines juives sont aux antisémites : une abominable impureté qu’il faut éliminer comme on élimine des témoins gênants ; petit d) il découle de ce qui précède une suspicion de chaque instant : celle qu’un pauvre leur fasse subir ce qu’eux-mêmes firent subir à d’autres pour gravir les échelons et pourquoi se gênerait-on ? Ils sont bien placés pour savoir que quiconque veut s’enrichir est sans scrupule ni pitié et, en ce sens, petit e) les pauvres sont un affreux pressentiment : celui qu’ils deviennent riches à leur tour et à leur place. Ils agitent le spectre d’une déchéance toujours possible et, pour couronner le tout, petit f) les pauvres sont une terreur : celle de les voir un jour prendre les armes et promener votre tête au bout d’une pique et pourquoi ne le font-ils pas ? Alors qu’ils sont tellement nombreux et qu’ils ont autant de raisons qu’ils sont nombreux ! Veulent-ils jouer avec vos nerfs ? Veulent-ils, à la menace, ajouter la cruauté d’une insupportable attente ? Quand frapperont-ils ? Qu’ils le disent à la fin ! Mais quels salauds ces pauvres ! Quels êtres répugnants ! Agiter sans fin une odieuse épée de Damoclès ! La police est-elle assez armée ? L’armée se tient-elle prête ? À leur place, cela ferait longtemps qu’on aurait fait la révolution pour échapper à des conditions de vie aussi minables qu’injustes et quelles lopettes finalement les pauvres ! Comme ils sont faibles et lâches. Ils ne méritent décidément que le mépris, ils sont vraiment de pauvres merdes, ils sont définitivement haïssables ;

etc.

Ce ne sont pas les seules choses que j’ignore.

Par exemple, je ne sais pas la limite à partir de laquelle on sait qu’on est riche car il existe une limite qui sépare le monde des riches et le monde des pauvres et les uns et les autres le savent, chacun sait très bien à quel monde il appartient, personne n’a aucun doute sur qui baise qui ; ne sais pas si, chez les gens fortunés, les enfants trouvent tout naturel d’être si bien nés alors que ce n’est pas de leur faute et qu’eux aussi en bavent et connaissent des déboires et des malheurs, ah oui, tout n’est pas rose pour eux non plus, il ne faut pas croire ; je ne sais pas non plus ce qui est explicite quand on est riche à millions et ce qui est implicite ; ne sais pas, quand on est riche à millions, si on met son ego à la banque ou si on l’en retire ; ne sais pas quel spectacle offre le monde depuis une position élevée et si, des autres, on ne voit alors que le sommet du crâne, on ne voit que la calvitie ; ne sais pas, lorsqu’on se trouve tout en haut de l’échelle sociale, si on perçoit que le temps s’écoule un tout petit peu plus vite que lorsqu’on se trouve au niveau de la mer, du fait de la différence de gravité, comme Einstein l’a démontré ; ne sais pas si, ici plus qu’ailleurs, la classe sociale à laquelle on appartient vit en soi sa vraie vie ;

je ne sais pas non plus de quoi les riches s’offusquent et de quoi ils rient – de qui ? Quelles plaisanteries les font se tordre de rire ? ; ne sais pas ce qui les fout en rogne et ce qui les fait pleurer, pour qui ils se prennent et pour qui ils ne se prennent pas ; ne sais pas si c’est vrai que « le pouvoir, c’est la richesse, c’est dépasser ses sentiments personnels au nom de l’efficacité, c’est ôter la vie, que cela vous désole ou pas, c’est tout savoir et tout posséder, c’est savourer le fait que l’autre soit impuissant devant vous », comme disait l’autre (le Caïd, in Daredevil, Le Rapport Murdock, de B.M. Bendis et A. Maleev) ;

je sais encore moins comment on aime quand on est riche, ni qui, ni jusqu’où ; je ne sais pas ce que cela fait de sentir que les gens vous apprécient pour votre argent et vous envient, vous admirent et vous jalousent pour votre argent, vous convoitent, vous soudoient et en viennent à se déserter eux-mêmes, comme dit l’autre (Tocqueville), pour se projeter tout entiers dans votre argent et se créer une personnalité imaginaire qui emprunte tout à votre argent et, fort de cette grandeur usurpée, ils vous lèchent les bottes et le cul, ils vous baisent les pieds et vous mangent dans la main, ils vous tiennent la porte et vous sourient et, tout le temps, cherchent à sucer votre pognon, tout le temps veulent extorquer des miettes de votre gâteau et tout le temps se montrent obséquieux en même temps qu’ils vous méprisent par-devers vous et vous haïssent autant qu’ils se haïssent eux-mêmes, vous haïssent au plus profond d’eux-mêmes à cause de votre argent et jusqu’à quel point cette haine ? Jusqu’à enlever vos enfants ? Vous saigner à blanc ? Non, je ne sais pas ce que cela fait que de vivre en permanence dans la détestation, le soupçon et la terreur qu’on vous confonde avec votre argent, même s’il n’est pas dit que vous-même sachiez très bien en quoi vous vous distinguez de votre argent : à quel moment ?

Attends. Je ne sais pas si on devient exprès insensible quand tout le monde s’accorde à dire qu’on n’a pas de cœur ; je ne sais pas, quand on est riche, si la liberté dont on jouit en est une ou si elle est une servitude ; ne sais pas ce que les riches ont les moyens de refuser que leur argent ne leur accorde pas ; de même, j’ignore s’ils se plaisent tant que cela dans la compagnie des gens qui leur ressemblent, puisqu’ils sont contraints de cultiver l’entre-soi s’ils veulent éviter les ennuis et les importuns ; ne sais pas si tu as déjà essayé de dire à un type plein aux as que ses goûts, ses choix, ce qu’il aime et n’aime pas, toute sa personnalité en somme est largement déterminée par son argent, son milieu social, l’éducation qu’il a reçue, l’eau du bain dans laquelle il a baigné, les opportunités dont il a bénéficié du fait de sa condition – mais essaie et tu verras. Ce que tu te prendras dans les gencives ! Ouh là là. Tu n’as pas idée de ce qui t’attend. J’ignore pourquoi, mais les gens riches sont convaincus d’être maîtres de leur destinée. Ils sont persuadés de ne rien devoir à leur milieu ni à personne, rien qui ne soit strictement de leur propre chef. Le déterminisme social et culturel ? Des conneries tout ça. De la sociologie à l’usage des pauvres. Car les pauvres, ce n’est pas de leur faute, mais on voit tout de suite d’où ils viennent. Il suffit de les regarder, de les écouter parler, de sentir leur odeur. On voit à quel point ils sont marqués par leurs origines. C’est comme une fatalité chez eux. Rien à voir avec les gens pleins aux as. Eux naissent émancipés. Leur milieu ne les détermine aucunement car il les rend libres. C’est très étrange. C’est symptomatique. Dans le beau monde, on ne rembourse jamais ses dettes. C’est la première des règles d’or pour s’enrichir. C’est tout le contraire de ce qu’on apprend aux pauvres. Comme dit l’autre (Donald Trump), c’est « génétique » s’il est riche à milliards. Sans déconner ! Cela n’a rien à voir avec le fait que son père lui a donné un million de dollars pour démarrer dans la vie. Je ne sais pas s’ils le font exprès, mais les gens riches se font de drôles d’idées sur leur compte. En même temps, ce n’est pas très surprenant. C’est leur milieu qui veut ça, justement. Pas de quoi leur jeter la pierre. Comme disait l’autre (Mitt Romney) : « Je suis riche et je ne m’excuse pas d’être riche. » À quoi lui répondit dans une lettre ouverte Stephen King : « Mais personne ne veut que tu t’excuses, Mitt. Ce que veulent certains d’entre nous, c’est que tu reconnaisses que tu n’aurais jamais pu réussir en Amérique sans l’Amérique. » Ce que d’autres (les Pinçon-Charlot) résument ainsi : « L’habileté des gens fortunés réside dans ce tour de passe-passe qui leur permet d’esquiver l’objectivité de leur situation dans la subjectivité de sa définition. » Et toc !

À ce sujet, je ne sais pas si les riches sont plus intelligents que la moyenne, ce pourquoi il est normal et légitime qu’ils soient riches, mais je sais, d’après de récents travaux en neurologie, que la pauvreté affecte le développement cérébral, au point qu’un individu pas plus con qu’un autre à la naissance le devient pour des raisons strictement économiques.

Ce n’est pas tout ce que j’ignore.

Par exemple : je ne sais pas, alors que tous les pauvres se sentent coupables de l’être, si ceux qui possèdent des mille et des cents éprouvent la même culpabilité et c’est quoi le contraire de la culpabilité ? L’innocence ? La conscience tranquille ? Je ne sais pas non plus, lorsqu’on est riche à millions, si on n’en vient pas à penser que les vrais snobs, ce sont les pauvres qui vous regardent de haut et qui vous toisent carrément et ils se prennent pour qui ? Qui sont-ils pour juger ?

Attends. Je ne sais rien des problèmes de riches car j’ai toujours eu des problèmes de pauvres. Je ne sais pas de quoi on se prive quand on a les moyens de ne se priver de rien – et de quoi on est privé aussi. Attends. Je ne sais pas s’ils se fichent de nous ceux qui, parvenant à s’élever jusqu’à la fortune, s’aperçoivent soudain que la pauvreté était une richesse qu’ils ont perdue et que ne redeviennent-ils pauvres alors. Et je ne sais pas pourquoi j’éprouve tout à coup une certaine gêne à parler des riches, comme si ce mot était malséant, réducteur, insultant, trop connoté et, finalement, qu’il me désignait moi plutôt qu’eux, alors que je n’éprouve aucune honte à parler des pauvres, à croire qu’ils sont du domaine public et qu’avec eux, tout le monde peut en prendre à son aise, sans pudeur aucune. Je ne sais même pas à quoi on est prêt pour rester riche et si on est vraiment prêt à tout. Et je ne sais pas à quel point « parler de grisbi, ça bloque les méninges », comme dit Dany Carrel dans Le Pacha (1968).

Ne sais pas s’il est vrai que c’est le premier million qui compte, car une fois placé en banque, il fera automatiquement des petits tellement le système roule pour ceux qui ont un max de pognon ; ne sais pas si on se frotte les mains de profiter des richesses d’un pays pour s’enrichir et de tout garder ensuite pour soi en allant s’installer en Suisse ou ailleurs et tant pis si le pays en crève ; ne sais rien de la vision déprimante, méprisante, sordide, cynique et peut-être désespérée que l’on a de l’humanité lorsqu’on la considère du haut d’un tas d’or ; ne sais pas quelle idée de la loi, de la liberté, de la justice est la sienne lorsqu’on a assez d’argent à gauche, à droite et au milieu pour faire les lois ; ne sais pas jusqu’où on se persuade soi-même que ceux qui n’ont pas d’argent se comporteraient de façon bien plus ignominieuse s’ils se retrouvaient à notre place et plutôt nous qu’eux, finalement ; ne sais pas si les riches croient en l’enfer et au paradis autres que fiscaux.

Ne sais pas si le veau d’or engendre forcément des vaches maigres et, à propos de taureau monstrueux, je ne sais pas si Wall Street, c’est à cause des Wallons du XVIIe siècle ou parce que l’argent dresse un mur. Je ne sais pas non plus si j’ai plus de chance d’apprécier le génie de Marcel Proust si je fais partie de son monde ou si je n’en fais pas partie ; ne sais pas ce que l’argent achète et ce qu’il n’achète pas ; ne sais pas quel bonheur fait l’argent car je ne connais que l’argent que l’on gagne pour subvenir à ses besoins et je ne vois aucun bonheur dans cet argent-là ; ne sais pas si ceux qui ont de l’argent regardent ceux qui n’en ont pas comme ceux qui en ont un peu regardent ceux qui n’en ont pas du tout : avec pitié et compassion tant qu’ils restent à bonne distance, mais avec haine et dégoût dès qu’ils s’approchent d’un peu trop près ; ne sais pas si le sang des riches est bleu ou s’il est différent de celui des pauvres, mais je sais, en revanche, que celui des pauvres peut couler sans problème dans les veines des riches depuis que des sociétés spécialisées achètent à vil prix le plasma des uns pour le revendre au prix fort aux autres, preuve qu’il n’existe pas d’incompatibilité hématique entre les classes sociales et que cette vérité est même source d’un lucratif business.

Quoi encore ?

Qu’est-ce que j’ignore encore ?

Ah si ! Je ne sais rien des certitudes et des doutes qui viennent de la richesse ; je ne sais pas si, nageant dans l’opulence, j’en viendrais à croire que le monde n’est qu’argent et quiconque prétendant le contraire ne serait qu’un pauvre idéaliste – alors que l’idéalisme est précisément la tendance à prendre ses désirs pour le monde qu’on fabrique et les plus idéalistes ne seraient donc pas ceux que l’on croit et veux-tu que je répète ou tu as compris ? Ne sais pas si, à l’instar de L’Extravagant Mr Deeds (1936), c’est folie que de distribuer une partie de sa fortune colossale, comme l’affirmèrent les ayants droit de James McGill qui intentèrent un procès à leur richissime parent après que celui-ci eut donné des fonds monumentaux à la ville de Montréal pour qu’elle se dote d’une grande université et ils plaidèrent la folie, ils voulurent qu’on interne celui qui n’était pas comme eux.

Ne sais pas qui des pauvres ou des riches se croient les plus prisonniers de leur situation, mais je sais que ce sont les riches qui construisent des murs pour se protéger. Ce sont eux qui ont le plus peur. Et leur peur fabrique le monde. Elle aboutit à enfermer les uns à l’extérieur et à enfermer les autres à l’intérieur.

Ne sais pas, comme le dit Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown (1968), si ceux qui possèdent tout ne cherchent qu’une seule chose : « éprouver des émotions parce que tous leurs besoins sont satisfaits ».

Ne sais pas si même les meilleurs d’entre nous sont gênés de dire d’où vient leur argent, quand Virginia Woolf, dans Une chambre à soi, a pu écrire que « miraculeusement, les pièces se multipliaient dans [s]on porte-monnaie ». Miraculeusement ? Vraiment ?

Ne sais pas davantage ce que cela me ferait d’être toujours le méchant de l’histoire, l’infâme, le cupide, le salaud, l’odieux personnage, celui par qui tous les maux du monde arrivent dans les films ou les livres et si, à force, je pourrais le supporter – ou si, par réaction, je n’aurais pas férocement envie de coller à cette mauvaise réputation, histoire d’en donner pour leur argent à ceux qui me haïssent ; ne sais pas si j’aurais une photo de J.R. sur mon bureau ou sur ma table de nuit ; ne sais pas si c’est vrai que celui qui a de l’argent, il n’aura pas l’amour, il ne faut pas pousser, il ne peut pas tout avoir, faut être un peu raisonnable mon ami, dixit Arletty au banquier qui possède son cul alors que son cœur appartient aux Enfants du paradis (1945).

Ne sais pas si Wittgenstein fut le seul à considérer que toucher l’héritage colossal de sa famille l’amoindrirait, ce pourquoi il le refusa, ce pourquoi Wittgenstein n’est pas un philosophe comme les autres ; ne sais pas si les gens riches meurent à la fin ou s’ils pensent que leur argent devrait les exempter de cette corvée et, là aussi, les placer au-dessus du lot commun ; ne sais pas si ceux qui sont pleins aux as « souffrent d’une maladie du cœur que seul l’or peut guérir », ainsi que l’écrivit le roi Montézuma à Cortes The Killer, à qui il demandait pourquoi celui-ci avait tant besoin d’or et si cela justifiait qu’il anéantisse son peuple.

Ne sais pas, lorsqu’on est fils ou fille de la fortune, ce que cela fait d’habiter des endroits si vastes que tous les membres d’une même famille se trouvent éloignés les uns des autres d’une distance qui est celle de l’argent ; ne sais pas jusqu’où ceux et celles qui savent qu’ils hériteront un jour se persuadent eux-mêmes – ainsi que je l’ai plusieurs fois constaté – qu’ils peuvent momentanément manger de la vache enragée car ils savent que ce ne sera pas éternel, ils savent qu’ils seront sauvés à la fin, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils touchent le pactole et, oui, j’aimerais savoir si une minuscule voix intérieure leur souffle un peu, beaucoup ou pas du tout que ce n’est pas tout à fait la même chose que d’être précipité dans l’existence en sachant qu’on a un parachute ou qu’on n’en a aucun ; ne sais pas ce que cela fait que d’être né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, ni le goût ferrugineux que cela laisse dans la bouche ; ne sais pas si on devient irrésistiblement mégalomaniaque au point de croire qu’on fait « le travail de dieu » lorsqu’on fait travailler son argent, comme le déclara sans rire le P.-D.G. de Goldman Sachs.

Ne sais pas l’étendue de la solitude de ceux qui ont la responsabilité d’une immense fortune et ne sais pas davantage ce que cela fait d’avoir des problèmes d’argent que l’immense majorité des gens ne connaîtront jamais et soupçonnent encore moins.

Ne sais pas quelle idée on se fait de soi-même quand tout le monde aimerait apparemment être à notre place ; ne sais pas si les enfants se demandent d’où vient la fortune de leur famille, sur le dos de qui elle se constitua, par quelle violence originelle, à l’instar des plus grands musées qui doivent leurs prestigieuses collections aux spoliations et aux pillages perpétrés lors de conquêtes militaires, et ces enfants croient-ils les contes qu’on leur raconte – par exemple, que Rockefeller devint milliardaire en commençant par ramasser un trombone après l’autre dans la rue, ainsi qu’on me le raconta lorsque j’étais enfant et je le crus longtemps.

En même temps, les plus grandes fortunes du monde – celles-là mêmes qui se targuent qu’on ne peut pas la leur faire à l’envers car ce sont elles qui entubent les autres – crurent (avec des étoiles dans les yeux, comme si elles voyaient la Vierge) au fonds d’investissement de Bernard Madoff qui leur promettait des intérêts aussi fabuleux que magiques, parce qu’elles n’imaginaient pas que quelqu’un de leur milieu, quelqu’un de leur caste, pût les trahir et les ruiner et les escroquer comme de vulgaires gogos et quelle poilade ! Je ne sais pas si l’appât du gain rend con et aveugle, mais Bernard Madoff n’en a pas douté une seule seconde et venant d’un milliardaire, voilà une information qui vaut son pesant de cacahouètes (en l’occurrence, soixante-cinq milliards de dollars). Est-ce parce qu’il était milliardaire que Bernard Madoff en conçut une espèce de haine pour les gens de son espèce, sachant qui ils étaient ? Est-ce pour une raison plus obscure ? Je l’ignore. Mais le fait demeure qu’il les a fait payer.

Ne sais pas ce que cela fait de savoir que tout ce que l’on risque dans l’existence, c’est de perdre ce que l’on a plutôt que d’obtenir ce que l’on n’a pas.

Ne sais pas quelles limites on s’impose, et si on s’en impose, quand on a les moyens de ne se donner aucune limite et, par exemple, les Rothschild obtinrent que le trajet d’une ligne d’autobus fasse un détour car le bruyant passage des autobus sous leurs fenêtres troublait la jouissance contemplative qu’ils avaient d’un tableau de Fantin-Latour qu’ils venaient d’acquérir, et remplace maintenant les mots autobus et tableau par ceux que tu veux ; ne sais pas qui on est quand on possède autant ; ne sais pas si on en a vraiment pour son argent quand on en a vraiment ; ne sais pas si j’obtiendrais un jour des réponses à toutes mes questions, un jour, à l’occasion, rien ne presse.

En attendant, je pense avoir suffisamment fait étalage de mon ignorance, surtout qu’il faut que je donne à manger au chat.

Surtout après avoir relu la Lettre LXXXVII de Sénèque à Lucilius, bel exemple de la façon dont un homme riche (Sénèque) essaye de s’en tirer à son niveau individuel des choses et, deux points ouvrez les guillemets : « Est-ce la richesse qui souille l’homme riche, ou lui qui rend la richesse immonde ? »

Vaste question.

« Si le veau d’or engendre des vaches maigres ? »
(Taureau de Wall Street, 1989)

Niveau 1

Je ne sais pas ce que cela fait d’être riche. Je n’en ai aucune idée. Je ne peux pas du tout m’imaginer passer les vacances d’hiver dans un chalet en Suisse et, l’été, dans une propriété sur les hauteurs de Nice ou dans un domaine situé dans les Cornouailles. Je ne sais pas ce que cela fait de n’avoir jamais des fins de mois difficiles et de n’en avoir pas la moindre idée, même en imagination. Je ne sais pas ce que cela fait de savoir qu’on va hériter un jour de propriétés, de chalets, de titres, de millions, oui, tout cela sera un jour à soi et qu’est-ce que cela fait de savoir que l’on a autant à gagner de la mort de ses proches et, par extension, que l’on a peut-être plus à gagner de la mort d’autrui que de son existence.

Je ne sais pas si, contrairement à ce que j’ai souvent entendu dire, les riches ne haïssent pas les pauvres bien davantage que ceux-ci les haïssent parce qu’ils ont beaucoup plus de raisons de les haïr et, petit a) le dégoût physique, immédiat, viscéral de la pauvreté – sa crasse, son odeur (d’où le besoin d’éviter tout contact et de se protéger des pauvres en accumulant toujours plus de richesses) ; petit b) le mépris pour les perdants (car personne n’aime l’insecte qu’il écrase) ; petit c) le fait que les pauvres rappellent aux riches ce qu’ils durent faire pour devenir riches, au prix de quelle violence originelle. Car aucune fortune ne s’édifie sur l’amour de son prochain et les pauvres en sont la preuve. Ils sont, pour les riches, un mauvais souvenir. Un caillou dans leur chaussure. Une tache qui leur rappelle qu’ils ne sont pas d’essence supérieure comme ils voudraient s’en persuader et le faire croire, non, ils ne doivent pas leur réussite à leurs qualités innées ou à leur personnalité exceptionnelle mais à un système qui leur profite et à une violence sans laquelle aucune accumulation n’est possible et, en ce sens, les pauvres brisent le miroir dans lequel les riches se voient si beaux et ils sont ce que des origines juives sont aux antisémites : une abominable impureté qu’il faut éliminer comme on élimine des témoins gênants ; petit d) il découle de ce qui précède une suspicion de chaque instant : celle qu’un pauvre leur fasse subir ce qu’eux-mêmes firent subir à d’autres pour gravir les échelons et pourquoi se gênerait-on ? Ils sont bien placés pour savoir que quiconque veut s’enrichir est sans scrupule ni pitié et, en ce sens, petit e) les pauvres sont un affreux pressentiment : celui qu’ils deviennent riches à leur tour et à leur place. Ils agitent le spectre d’une déchéance toujours possible et, pour couronner le tout, petit f) les pauvres sont une terreur : celle de les voir un jour prendre les armes et promener votre tête au bout d’une pique et pourquoi ne le font-ils pas ? Alors qu’ils sont tellement nombreux et qu’ils ont autant de raisons qu’ils sont nombreux ! Veulent-ils jouer avec vos nerfs ? Veulent-ils, à la menace, ajouter la cruauté d’une insupportable attente ? Quand frapperont-ils ? Qu’ils le disent à la fin ! Mais quels salauds ces pauvres ! Quels êtres répugnants ! Agiter sans fin une odieuse épée de Damoclès ! La police est-elle assez armée ? L’armée se tient-elle prête ? À leur place, cela ferait longtemps qu’on aurait fait la révolution pour échapper à des conditions de vie aussi minables qu’injustes et quelles lopettes finalement les pauvres ! Comme ils sont faibles et lâches. Ils ne méritent décidément que le mépris, ils sont vraiment de pauvres merdes, ils sont définitivement haïssables ;

etc.

Ce ne sont pas les seules choses que j’ignore.

Par exemple, je ne sais pas la limite à partir de laquelle on sait qu’on est riche car il existe une limite qui sépare le monde des riches et le monde des pauvres et les uns et les autres le savent, chacun sait très bien à quel monde il appartient, personne n’a aucun doute sur qui baise qui ; ne sais pas si, chez les gens fortunés, les enfants trouvent tout naturel d’être si bien nés alors que ce n’est pas de leur faute et qu’eux aussi en bavent et connaissent des déboires et des malheurs, ah oui, tout n’est pas rose pour eux non plus, il ne faut pas croire ; je ne sais pas non plus ce qui est explicite quand on est riche à millions et ce qui est implicite ; ne sais pas, quand on est riche à millions, si on met son ego à la banque ou si on l’en retire ; ne sais pas quel spectacle offre le monde depuis une position élevée et si, des autres, on ne voit alors que le sommet du crâne, on ne voit que la calvitie ; ne sais pas, lorsqu’on se trouve tout en haut de l’échelle sociale, si on perçoit que le temps s’écoule un tout petit peu plus vite que lorsqu’on se trouve au niveau de la mer, du fait de la différence de gravité, comme Einstein l’a démontré ; ne sais pas si, ici plus qu’ailleurs, la classe sociale à laquelle on appartient vit en soi sa vraie vie ;

je ne sais pas non plus de quoi les riches s’offusquent et de quoi ils rient – de qui ? Quelles plaisanteries les font se tordre de rire ? ; ne sais pas ce qui les fout en rogne et ce qui les fait pleurer, pour qui ils se prennent et pour qui ils ne se prennent pas ; ne sais pas si c’est vrai que « le pouvoir, c’est la richesse, c’est dépasser ses sentiments personnels au nom de l’efficacité, c’est ôter la vie, que cela vous désole ou pas, c’est tout savoir et tout posséder, c’est savourer le fait que l’autre soit impuissant devant vous », comme disait l’autre (le Caïd, in Daredevil, Le Rapport Murdock, de B.M. Bendis et A. Maleev) ;

je sais encore moins comment on aime quand on est riche, ni qui, ni jusqu’où ; je ne sais pas ce que cela fait de sentir que les gens vous apprécient pour votre argent et vous envient, vous admirent et vous jalousent pour votre argent, vous convoitent, vous soudoient et en viennent à se déserter eux-mêmes, comme dit l’autre (Tocqueville), pour se projeter tout entiers dans votre argent et se créer une personnalité imaginaire qui emprunte tout à votre argent et, fort de cette grandeur usurpée, ils vous lèchent les bottes et le cul, ils vous baisent les pieds et vous mangent dans la main, ils vous tiennent la porte et vous sourient et, tout le temps, cherchent à sucer votre pognon, tout le temps veulent extorquer des miettes de votre gâteau et tout le temps se montrent obséquieux en même temps qu’ils vous méprisent par-devers vous et vous haïssent autant qu’ils se haïssent eux-mêmes, vous haïssent au plus profond d’eux-mêmes à cause de votre argent et jusqu’à quel point cette haine ? Jusqu’à enlever vos enfants ? Vous saigner à blanc ? Non, je ne sais pas ce que cela fait que de vivre en permanence dans la détestation, le soupçon et la terreur qu’on vous confonde avec votre argent, même s’il n’est pas dit que vous-même sachiez très bien en quoi vous vous distinguez de votre argent : à quel moment ?

Attends. Je ne sais pas si on devient exprès insensible quand tout le monde s’accorde à dire qu’on n’a pas de cœur ; je ne sais pas, quand on est riche, si la liberté dont on jouit en est une ou si elle est une servitude ; ne sais pas ce que les riches ont les moyens de refuser que leur argent ne leur accorde pas ; de même, j’ignore s’ils se plaisent tant que cela dans la compagnie des gens qui leur ressemblent, puisqu’ils sont contraints de cultiver l’entre-soi s’ils veulent éviter les ennuis et les importuns ; ne sais pas si tu as déjà essayé de dire à un type plein aux as que ses goûts, ses choix, ce qu’il aime et n’aime pas, toute sa personnalité en somme est largement déterminée par son argent, son milieu social, l’éducation qu’il a reçue, l’eau du bain dans laquelle il a baigné, les opportunités dont il a bénéficié du fait de sa condition – mais essaie et tu verras. Ce que tu te prendras dans les gencives ! Ouh là là. Tu n’as pas idée de ce qui t’attend. J’ignore pourquoi, mais les gens riches sont convaincus d’être maîtres de leur destinée. Ils sont persuadés de ne rien devoir à leur milieu ni à personne, rien qui ne soit strictement de leur propre chef. Le déterminisme social et culturel ? Des conneries tout ça. De la sociologie à l’usage des pauvres. Car les pauvres, ce n’est pas de leur faute, mais on voit tout de suite d’où ils viennent. Il suffit de les regarder, de les écouter parler, de sentir leur odeur. On voit à quel point ils sont marqués par leurs origines. C’est comme une fatalité chez eux. Rien à voir avec les gens pleins aux as. Eux naissent émancipés. Leur milieu ne les détermine aucunement car il les rend libres. C’est très étrange. C’est symptomatique. Dans le beau monde, on ne rembourse jamais ses dettes. C’est la première des règles d’or pour s’enrichir. C’est tout le contraire de ce qu’on apprend aux pauvres. Comme dit l’autre (Donald Trump), c’est « génétique » s’il est riche à milliards. Sans déconner ! Cela n’a rien à voir avec le fait que son père lui a donné un million de dollars pour démarrer dans la vie. Je ne sais pas s’ils le font exprès, mais les gens riches se font de drôles d’idées sur leur compte. En même temps, ce n’est pas très surprenant. C’est leur milieu qui veut ça, justement. Pas de quoi leur jeter la pierre. Comme disait l’autre (Mitt Romney) : « Je suis riche et je ne m’excuse pas d’être riche. » À quoi lui répondit dans une lettre ouverte Stephen King : « Mais personne ne veut que tu t’excuses, Mitt. Ce que veulent certains d’entre nous, c’est que tu reconnaisses que tu n’aurais jamais pu réussir en Amérique sans l’Amérique. » Ce que d’autres (les Pinçon-Charlot) résument ainsi : « L’habileté des gens fortunés réside dans ce tour de passe-passe qui leur permet d’esquiver l’objectivité de leur situation dans la subjectivité de sa définition. » Et toc !

À ce sujet, je ne sais pas si les riches sont plus intelligents que la moyenne, ce pourquoi il est normal et légitime qu’ils soient riches, mais je sais, d’après de récents travaux en neurologie, que la pauvreté affecte le développement cérébral, au point qu’un individu pas plus con qu’un autre à la naissance le devient pour des raisons strictement économiques.

Ce n’est pas tout ce que j’ignore.

Par exemple : je ne sais pas, alors que tous les pauvres se sentent coupables de l’être, si ceux qui possèdent des mille et des cents éprouvent la même culpabilité et c’est quoi le contraire de la culpabilité ? L’innocence ? La conscience tranquille ? Je ne sais pas non plus, lorsqu’on est riche à millions, si on n’en vient pas à penser que les vrais snobs, ce sont les pauvres qui vous regardent de haut et qui vous toisent carrément et ils se prennent pour qui ? Qui sont-ils pour juger ?

Attends. Je ne sais rien des problèmes de riches car j’ai toujours eu des problèmes de pauvres. Je ne sais pas de quoi on se prive quand on a les moyens de ne se priver de rien – et de quoi on est privé aussi. Attends. Je ne sais pas s’ils se fichent de nous ceux qui, parvenant à s’élever jusqu’à la fortune, s’aperçoivent soudain que la pauvreté était une richesse qu’ils ont perdue et que ne redeviennent-ils pauvres alors. Et je ne sais pas pourquoi j’éprouve tout à coup une certaine gêne à parler des riches, comme si ce mot était malséant, réducteur, insultant, trop connoté et, finalement, qu’il me désignait moi plutôt qu’eux, alors que je n’éprouve aucune honte à parler des pauvres, à croire qu’ils sont du domaine public et qu’avec eux, tout le monde peut en prendre à son aise, sans pudeur aucune. Je ne sais même pas à quoi on est prêt pour rester riche et si on est vraiment prêt à tout. Et je ne sais pas à quel point « parler de grisbi, ça bloque les méninges », comme dit Dany Carrel dans Le Pacha (1968).

Ne sais pas s’il est vrai que c’est le premier million qui compte, car une fois placé en banque, il fera automatiquement des petits tellement le système roule pour ceux qui ont un max de pognon ; ne sais pas si on se frotte les mains de profiter des richesses d’un pays pour s’enrichir et de tout garder ensuite pour soi en allant s’installer en Suisse ou ailleurs et tant pis si le pays en crève ; ne sais rien de la vision déprimante, méprisante, sordide, cynique et peut-être désespérée que l’on a de l’humanité lorsqu’on la considère du haut d’un tas d’or ; ne sais pas quelle idée de la loi, de la liberté, de la justice est la sienne lorsqu’on a assez d’argent à gauche, à droite et au milieu pour faire les lois ; ne sais pas jusqu’où on se persuade soi-même que ceux qui n’ont pas d’argent se comporteraient de façon bien plus ignominieuse s’ils se retrouvaient à notre place et plutôt nous qu’eux, finalement ; ne sais pas si les riches croient en l’enfer et au paradis autres que fiscaux.

Ne sais pas si le veau d’or engendre forcément des vaches maigres et, à propos de taureau monstrueux, je ne sais pas si Wall Street, c’est à cause des Wallons du XVIIe siècle ou parce que l’argent dresse un mur. Je ne sais pas non plus si j’ai plus de chance d’apprécier le génie de Marcel Proust si je fais partie de son monde ou si je n’en fais pas partie ; ne sais pas ce que l’argent achète et ce qu’il n’achète pas ; ne sais pas quel bonheur fait l’argent car je ne connais que l’argent que l’on gagne pour subvenir à ses besoins et je ne vois aucun bonheur dans cet argent-là ; ne sais pas si ceux qui ont de l’argent regardent ceux qui n’en ont pas comme ceux qui en ont un peu regardent ceux qui n’en ont pas du tout : avec pitié et compassion tant qu’ils restent à bonne distance, mais avec haine et dégoût dès qu’ils s’approchent d’un peu trop près ; ne sais pas si le sang des riches est bleu ou s’il est différent de celui des pauvres, mais je sais, en revanche, que celui des pauvres peut couler sans problème dans les veines des riches depuis que des sociétés spécialisées achètent à vil prix le plasma des uns pour le revendre au prix fort aux autres, preuve qu’il n’existe pas d’incompatibilité hématique entre les classes sociales et que cette vérité est même source d’un lucratif business.

Quoi encore ?

Qu’est-ce que j’ignore encore ?

Ah si ! Je ne sais rien des certitudes et des doutes qui viennent de la richesse ; je ne sais pas si, nageant dans l’opulence, j’en viendrais à croire que le monde n’est qu’argent et quiconque prétendant le contraire ne serait qu’un pauvre idéaliste – alors que l’idéalisme est précisément la tendance à prendre ses désirs pour le monde qu’on fabrique et les plus idéalistes ne seraient donc pas ceux que l’on croit et veux-tu que je répète ou tu as compris ? Ne sais pas si, à l’instar de L’Extravagant Mr Deeds (1936), c’est folie que de distribuer une partie de sa fortune colossale, comme l’affirmèrent les ayants droit de James McGill qui intentèrent un procès à leur richissime parent après que celui-ci eut donné des fonds monumentaux à la ville de Montréal pour qu’elle se dote d’une grande université et ils plaidèrent la folie, ils voulurent qu’on interne celui qui n’était pas comme eux.

Ne sais pas qui des pauvres ou des riches se croient les plus prisonniers de leur situation, mais je sais que ce sont les riches qui construisent des murs pour se protéger. Ce sont eux qui ont le plus peur. Et leur peur fabrique le monde. Elle aboutit à enfermer les uns à l’extérieur et à enfermer les autres à l’intérieur.

Ne sais pas, comme le dit Steve McQueen dans L’Affaire Thomas Crown (1968), si ceux qui possèdent tout ne cherchent qu’une seule chose : « éprouver des émotions parce que tous leurs besoins sont satisfaits ».

Ne sais pas si même les meilleurs d’entre nous sont gênés de dire d’où vient leur argent, quand Virginia Woolf, dans Une chambre à soi, a pu écrire que « miraculeusement, les pièces se multipliaient dans [s]on porte-monnaie ». Miraculeusement ? Vraiment ?

Ne sais pas davantage ce que cela me ferait d’être toujours le méchant de l’histoire, l’infâme, le cupide, le salaud, l’odieux personnage, celui par qui tous les maux du monde arrivent dans les films ou les livres et si, à force, je pourrais le supporter – ou si, par réaction, je n’aurais pas férocement envie de coller à cette mauvaise réputation, histoire d’en donner pour leur argent à ceux qui me haïssent ; ne sais pas si j’aurais une photo de J.R. sur mon bureau ou sur ma table de nuit ; ne sais pas si c’est vrai que celui qui a de l’argent, il n’aura pas l’amour, il ne faut pas pousser, il ne peut pas tout avoir, faut être un peu raisonnable mon ami, dixit Arletty au banquier qui possède son cul alors que son cœur appartient aux Enfants du paradis (1945).

Ne sais pas si Wittgenstein fut le seul à considérer que toucher l’héritage colossal de sa famille l’amoindrirait, ce pourquoi il le refusa, ce pourquoi Wittgenstein n’est pas un philosophe comme les autres ; ne sais pas si les gens riches meurent à la fin ou s’ils pensent que leur argent devrait les exempter de cette corvée et, là aussi, les placer au-dessus du lot commun ; ne sais pas si ceux qui sont pleins aux as « souffrent d’une maladie du cœur que seul l’or peut guérir », ainsi que l’écrivit le roi Montézuma à Cortes The Killer, à qui il demandait pourquoi celui-ci avait tant besoin d’or et si cela justifiait qu’il anéantisse son peuple.

Ne sais pas, lorsqu’on est fils ou fille de la fortune, ce que cela fait d’habiter des endroits si vastes que tous les membres d’une même famille se trouvent éloignés les uns des autres d’une distance qui est celle de l’argent ; ne sais pas jusqu’où ceux et celles qui savent qu’ils hériteront un jour se persuadent eux-mêmes – ainsi que je l’ai plusieurs fois constaté – qu’ils peuvent momentanément manger de la vache enragée car ils savent que ce ne sera pas éternel, ils savent qu’ils seront sauvés à la fin, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils touchent le pactole et, oui, j’aimerais savoir si une minuscule voix intérieure leur souffle un peu, beaucoup ou pas du tout que ce n’est pas tout à fait la même chose que d’être précipité dans l’existence en sachant qu’on a un parachute ou qu’on n’en a aucun ; ne sais pas ce que cela fait que d’être né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, ni le goût ferrugineux que cela laisse dans la bouche ; ne sais pas si on devient irrésistiblement mégalomaniaque au point de croire qu’on fait « le travail de dieu » lorsqu’on fait travailler son argent, comme le déclara sans rire le P.-D.G. de Goldman Sachs.

Ne sais pas l’étendue de la solitude de ceux qui ont la responsabilité d’une immense fortune et ne sais pas davantage ce que cela fait d’avoir des problèmes d’argent que l’immense majorité des gens ne connaîtront jamais et soupçonnent encore moins.

Ne sais pas quelle idée on se fait de soi-même quand tout le monde aimerait apparemment être à notre place ; ne sais pas si les enfants se demandent d’où vient la fortune de leur famille, sur le dos de qui elle se constitua, par quelle violence originelle, à l’instar des plus grands musées qui doivent leurs prestigieuses collections aux spoliations et aux pillages perpétrés lors de conquêtes militaires, et ces enfants croient-ils les contes qu’on leur raconte – par exemple, que Rockefeller devint milliardaire en commençant par ramasser un trombone après l’autre dans la rue, ainsi qu’on me le raconta lorsque j’étais enfant et je le crus longtemps.

En même temps, les plus grandes fortunes du monde – celles-là mêmes qui se targuent qu’on ne peut pas la leur faire à l’envers car ce sont elles qui entubent les autres – crurent (avec des étoiles dans les yeux, comme si elles voyaient la Vierge) au fonds d’investissement de Bernard Madoff qui leur promettait des intérêts aussi fabuleux que magiques, parce qu’elles n’imaginaient pas que quelqu’un de leur milieu, quelqu’un de leur caste, pût les trahir et les ruiner et les escroquer comme de vulgaires gogos et quelle poilade ! Je ne sais pas si l’appât du gain rend con et aveugle, mais Bernard Madoff n’en a pas douté une seule seconde et venant d’un milliardaire, voilà une information qui vaut son pesant de cacahouètes (en l’occurrence, soixante-cinq milliards de dollars). Est-ce parce qu’il était milliardaire que Bernard Madoff en conçut une espèce de haine pour les gens de son espèce, sachant qui ils étaient ? Est-ce pour une raison plus obscure ? Je l’ignore. Mais le fait demeure qu’il les a fait payer.

Ne sais pas ce que cela fait de savoir que tout ce que l’on risque dans l’existence, c’est de perdre ce que l’on a plutôt que d’obtenir ce que l’on n’a pas.

Ne sais pas quelles limites on s’impose, et si on s’en impose, quand on a les moyens de ne se donner aucune limite et, par exemple, les Rothschild obtinrent que le trajet d’une ligne d’autobus fasse un détour car le bruyant passage des autobus sous leurs fenêtres troublait la jouissance contemplative qu’ils avaient d’un tableau de Fantin-Latour qu’ils venaient d’acquérir, et remplace maintenant les mots autobus et tableau par ceux que tu veux ; ne sais pas qui on est quand on possède autant ; ne sais pas si on en a vraiment pour son argent quand on en a vraiment ; ne sais pas si j’obtiendrais un jour des réponses à toutes mes questions, un jour, à l’occasion, rien ne presse.

En attendant, je pense avoir suffisamment fait étalage de mon ignorance, surtout qu’il faut que je donne à manger au chat.

Surtout après avoir relu la Lettre LXXXVII de Sénèque à Lucilius, bel exemple de la façon dont un homme riche (Sénèque) essaye de s’en tirer à son niveau individuel des choses et, deux points ouvrez les guillemets : « Est-ce la richesse qui souille l’homme riche, ou lui qui rend la richesse immonde ? »

Vaste question.

« Si le veau d’or engendre des vaches maigres ? »

Taureau de Wallstreet, 1989.

Annexe 1

C’est un souvenir de mon enfance.

J’avais onze ans.

Mon superpote de l’époque, Philou, avec qui je jouais au rugby, se trouvait être le fils d’un ponte d’une grosse firme internationale. Cela ne se voyait pas. Nul ne pouvait soupçonner que Philou habitait un 600 m2 avenue Marceau, à deux pas de la place de l’Étoile. Et le sachant, cela ne changeait rien. À cette époque, les gosses se fichaient bien de leurs origines sociales, tant que celles-ci ne les rattrapaient pas – ce qui n’est plus le cas depuis les années 80 et la discrimination par les marques dès le berceau.

Mais voici le souvenir. Un soir que Philou m’avait invité à dormir chez lui et que tous les deux faisions la tambouille dans la cuisine (laquelle faisait trois fois la taille de la chambre que mon frère et moi partagions), son paternel débarqua à l’improviste, tout content de pouvoir dire bonjour à son fiston (qu’il ne voyait pas souvent tellement il travaillait dur et tard). Philou me présenta. Le père resta un moment avec nous, à grignoter un morceau. Il avait une bonne tête. Il était super-bronzé. Il ôta sa veste qu’il mit sur le dossier de sa chaise, desserra le nœud de sa cravate, retroussa ses manches et s’attabla avec nous. Il fit semblant de s’intéresser à moi. Sûrement était-il content de rencontrer un copain de son fils et saisissait-il l’occasion de se faire une opinion sur ses fréquentations. En plus de montrer à son rejeton qu’il s’intéressait à sa vie. Mais peut-être aurait-il préféré que je ne sois pas là afin que tous les deux profitent pour une fois d’un moment d’intimité. Ou il était justement content de ne pas se retrouver seul avec son fils. Qui sait ?

En tout cas, l’ambiance était détendue. Vraiment sympa. C’est cool d’avoir un père comme ça, pensais-je. Je veux dire : un père qui discute avec son fils, comme ça, pour le plaisir de discuter, de façon adulte, sans personne à l’horizon susceptible de se jeter par la fenêtre. Sans être particulièrement impressionné, je me tenais bien poli. J’avais conscience d’être en présence d’un parent. Je tenais à faire bonne impression. À montrer que j’étais bien élevé. De la conversation qui, autour d’un plat de pâtes, s’engagea entre nous, je n’ai gardé aucun souvenir. Ce qui fait que je ne peux dire aujourd’hui par quels tours et détours le père de Philou en vint à déclarer, deux points ouvrez les guillemets : « L’argent rend libre. » Et moi de lui répondre du tac au tac : « Oui, mais vous n’êtes pas libre de votre argent. » Texto.

Du haut de mes onze ans.

C’est exactement ce que je répondis. Sans penser à mal. Sans réfléchir. De façon spontanée. (J’étais vif à l’époque, j’étais bon.) Parce que cela me semblait logique. On n’est pas libre de ce qui nous rend libres. C’était évident dans mon esprit. C’était purement mathématique. Cela n’allait pas plus loin. Ce n’était pas social. Pas de quoi en faire un fromage et jamais je ne me serais rappelé cette scène si le père de Philou ne m’avait alors regardé d’une drôle de manière. Une manière très étrange. À la fois intense et curieuse. Tout en gardant le silence, un vague sourire aux lèvres. Comment dire ?

Il me regardait comme s’il pensait soudain à quelque chose. Comme s’il découvrait ma présence dans la pièce. Comme si je n’étais pas seulement le copain de son fils mais quelqu’un que lui, le père de mon meilleur ami, lui, le ponte d’une grosse firme internationale, trouvait tout à coup digne d’intérêt. Je ne sais pas. Ce que j’avais dit ne l’avait pas froissé, pas du tout. Il ne me regardait pas non plus d’un air mi-amusé mi-condescendant, comme si j’étais un mioche qui ne comprenait rien à rien et à qui les parents, probablement communistes, avaient déjà bourré le mou, non, il me regardait avec attention, il me regardait avec le plus grand sérieux, non pas avec suspicion, mais avec une gravité qui était à la fois perplexe et bienveillante et je ne sais pas. Ce regard qu’il posa sur moi : il me fit exister. Voilà. Sous ce regard, j’eus l’impression de ne pas être seulement un gosse de onze ans mais d’exister pour de vrai, pour moi-même, d’être soudain digne d’être écouté et, sur l’instant, ce fut un sentiment fantastique. Je me sentis grandi. À la fois flatté et bouleversé. Au point de baisser les yeux, rouge d’un plaisir tout nouveau pour moi.

Je le sais aujourd’hui, ce regard fut très important à mon niveau individuel des choses, au point qu’il se grava dans ma mémoire – la preuve. Je compris (sans me le formuler aussi clairement) que je venais de dire quelque chose qui me dépassait, qui était peut-être important, ce pourquoi je n’ai jamais oublié ce regard, ni ce qui l’avait motivé.

C’est l’une des très rares fois où j’ai eu un contact personnel avec quelqu’un habitant « le royaume des fées ».

J’avais onze ans.

Cela se passait dans une cuisine, autour d’un plat de nouilles. À la bonne franquette.

À propos de nourriture, il faut vraiment que je donne à manger au chat. Lui ne va pas rester stoïque très longtemps à crier famine.

Annexe 2

Je ne sais plus à quel âge je vis ce film.

Le Président.

Réalisé par Henri Verneuil. Dialogues de Michel Audiard. Adapté du roman éponyme de Georges Simenon. Sorti en salle en 1961. Avec Jean Gabin et Bernard Blier.

Je devais avoir quatorze ans. C’est ce que je dirais.

Et la fameuse scène où Jean Gabin s’en paie une bonne tranche à l’Assemblée nationale en dévoilant que les représentants du peuple représentent en fait les puissances de l’argent, cette scène d’anthologie, ce morceau de bravoure, oui, il m’avait fait forte impression à l’époque. Il contribua à mon éducation politique (eh oui). À ce titre, cette scène fait partie du Dossier M, à la rubrique Argent. Ce pourquoi je la poste ici.

Précision : en revoyant cette scène, j’ai noté dans l’un de mes petits carnets : « Maintenant, remplace l’Assemblée nationale par une institution de ton choix, n’importe laquelle, et fais l’appel par ordre alphabétique. Que vois-tu ? Les poissons volants constituent-ils la majorité du genre ? Que peux-tu en déduire ? Cela n’a aucun rapport ? J’ai tout faux ? J’aimerais tellement. »

« Le Président » (extrait).
Henri Verneuil, 1961.

Annexe 1

C’est un souvenir de mon enfance.

J’avais onze ans.

Mon superpote de l’époque, Philou, avec qui je jouais au rugby, se trouvait être le fils d’un ponte d’une grosse firme internationale. Cela ne se voyait pas. Nul ne pouvait soupçonner que Philou habitait un 600 m2 avenue Marceau, à deux pas de la place de l’Étoile. Et le sachant, cela ne changeait rien. À cette époque, les gosses se fichaient bien de leurs origines sociales, tant que celles-ci ne les rattrapaient pas – ce qui n’est plus le cas depuis les années 80 et la discrimination par les marques dès le berceau.

Mais voici le souvenir. Un soir que Philou m’avait invité à dormir chez lui et que tous les deux faisions la tambouille dans la cuisine (laquelle faisait trois fois la taille de la chambre que mon frère et moi partagions), son paternel débarqua à l’improviste, tout content de pouvoir dire bonjour à son fiston (qu’il ne voyait pas souvent tellement il travaillait dur et tard). Philou me présenta. Le père resta un moment avec nous, à grignoter un morceau. Il avait une bonne tête. Il était super-bronzé. Il ôta sa veste qu’il mit sur le dossier de sa chaise, desserra le nœud de sa cravate, retroussa ses manches et s’attabla avec nous. Il fit semblant de s’intéresser à moi. Sûrement était-il content de rencontrer un copain de son fils et saisissait-il l’occasion de se faire une opinion sur ses fréquentations. En plus de montrer à son rejeton qu’il s’intéressait à sa vie. Mais peut-être aurait-il préféré que je ne sois pas là afin que tous les deux profitent pour une fois d’un moment d’intimité. Ou il était justement content de ne pas se retrouver seul avec son fils. Qui sait ?

En tout cas, l’ambiance était détendue. Vraiment sympa. C’est cool d’avoir un père comme ça, pensais-je. Je veux dire : un père qui discute avec son fils, comme ça, pour le plaisir de discuter, de façon adulte, sans personne à l’horizon susceptible de se jeter par la fenêtre. Sans être particulièrement impressionné, je me tenais bien poli. J’avais conscience d’être en présence d’un parent. Je tenais à faire bonne impression. À montrer que j’étais bien élevé. De la conversation qui, autour d’un plat de pâtes, s’engagea entre nous, je n’ai gardé aucun souvenir. Ce qui fait que je ne peux dire aujourd’hui par quels tours et détours le père de Philou en vint à déclarer, deux points ouvrez les guillemets : « L’argent rend libre. » Et moi de lui répondre du tac au tac : « Oui, mais vous n’êtes pas libre de votre argent. » Texto.

Du haut de mes onze ans.

C’est exactement ce que je répondis. Sans penser à mal. Sans réfléchir. De façon spontanée. (J’étais vif à l’époque, j’étais bon.) Parce que cela me semblait logique. On n’est pas libre de ce qui nous rend libres. C’était évident dans mon esprit. C’était purement mathématique. Cela n’allait pas plus loin. Ce n’était pas social. Pas de quoi en faire un fromage et jamais je ne me serais rappelé cette scène si le père de Philou ne m’avait alors regardé d’une drôle de manière. Une manière très étrange. À la fois intense et curieuse. Tout en gardant le silence, un vague sourire aux lèvres. Comment dire ?

Il me regardait comme s’il pensait soudain à quelque chose. Comme s’il découvrait ma présence dans la pièce. Comme si je n’étais pas seulement le copain de son fils mais quelqu’un que lui, le père de mon meilleur ami, lui, le ponte d’une grosse firme internationale, trouvait tout à coup digne d’intérêt. Je ne sais pas. Ce que j’avais dit ne l’avait pas froissé, pas du tout. Il ne me regardait pas non plus d’un air mi-amusé mi-condescendant, comme si j’étais un mioche qui ne comprenait rien à rien et à qui les parents, probablement communistes, avaient déjà bourré le mou, non, il me regardait avec attention, il me regardait avec le plus grand sérieux, non pas avec suspicion, mais avec une gravité qui était à la fois perplexe et bienveillante et je ne sais pas. Ce regard qu’il posa sur moi : il me fit exister. Voilà. Sous ce regard, j’eus l’impression de ne pas être seulement un gosse de onze ans mais d’exister pour de vrai, pour moi-même, d’être soudain digne d’être écouté et, sur l’instant, ce fut un sentiment fantastique. Je me sentis grandi. À la fois flatté et bouleversé. Au point de baisser les yeux, rouge d’un plaisir tout nouveau pour moi.

Je le sais aujourd’hui, ce regard fut très important à mon niveau individuel des choses, au point qu’il se grava dans ma mémoire – la preuve. Je compris (sans me le formuler aussi clairement) que je venais de dire quelque chose qui me dépassait, qui était peut-être important, ce pourquoi je n’ai jamais oublié ce regard, ni ce qui l’avait motivé.

C’est l’une des très rares fois où j’ai eu un contact personnel avec quelqu’un habitant « le royaume des fées ».

J’avais onze ans.

Cela se passait dans une cuisine, autour d’un plat de nouilles. À la bonne franquette.

À propos de nourriture, il faut vraiment que je donne à manger au chat. Lui ne va pas rester stoïque très longtemps à crier famine.

Annexe 2

Je ne sais plus à quel âge je vis ce film.

Le Président.

Réalisé par Henri Verneuil. Dialogues de Michel Audiard. Adapté du roman éponyme de Georges Simenon. Sorti en salle en 1961. Avec Jean Gabin et Bernard Blier.

Je devais avoir quatorze ans. C’est ce que je dirais.

Et la fameuse scène où Jean Gabin s’en paie une bonne tranche à l’Assemblée nationale en dévoilant que les représentants du peuple représentent en fait les puissances de l’argent, cette scène d’anthologie, ce morceau de bravoure, oui, il m’avait fait forte impression à l’époque. Il contribua à mon éducation politique (eh oui). À ce titre, cette scène fait partie du Dossier M, à la rubrique Argent. Ce pourquoi je la poste ici.

Précision : en revoyant cette scène, j’ai noté dans l’un de mes petits carnets : « Maintenant, remplace l’Assemblée nationale par une institution de ton choix, n’importe laquelle, et fais l’appel par ordre alphabétique. Que vois-tu ? Les poissons volants constituent-ils la majorité du genre ? Que peux-tu en déduire ? Cela n’a aucun rapport ? J’ai tout faux ? J’aimerais tellement. »

« Le Président » (extrait). Henri Verneuil, 1961.